IMPRESSIONS de TORONTO (Ontario, Canada)


Compte rendu de Pierre Sabourin
Conférence Internationale Sandor Ferenczi, 7 Mai-9 Mai 2015

Héritage d’un Esprit Psychanalytique

A regarder le programme je n’ai pas perçu tout de suite la complexité de cette mise au point qui nous était proposée à propos de Ferenczi: « Offrir à tous un lieu et un temps pour amorcer un dialogue ouvert autour d’expériences cliniques difficiles et de réflexions stimulantes liées à leur champ d’activité » .

Quoiqu’il en soit tout y a été réussi : depuis les traductions simultanées jusqu’à la restauration sur place, de l’accueil au diner, avec chaque jour, une littérature psy anglo-saxonne et française de premier plan, sur les trétaux ; merci aux organisateurs, Endre Koritar de Vancouver et notre amie Josette Garon de Montréal pour l’équilibre délicat entre les différents ateliers et les séances plénières.

D’entrée de jeu Judith Dupont a été citée, par Josette Garon, comme l’incarnation même de cet esprit psychanalytique, par une phrase de son texte d’introduction au numéro du Printemps 2015 de la revue Canadienne de Psychanalyse, sortie peu de jours avant. Le texte de Judith, intitulé : «  Comment l’esprit vient aux analystes », retrace certains moments de son enfance à Budapest imprégnée de psychanalyse par sa grand mère, son oncle et sa tante Alice, et pour maintenir son humour habituel c’est à un conte de la Fontaine qu’elle fait référence: « Comment l’esprit vient aux filles »

Les thèmes cliniques des dernières années de la vie de Ferenczi, de 1929 à 1933, ont été abordées par la majorité des intervenants, où se conjuguent comme on sait originalité, réflexions sur les traumatismes précoces et critiques de Freud.

Nous connaissions, depuis le colloque Parisien de Mars 2014, la subtilité de Franco Borgogno : « Pour être analyste selon Ferenczi, il faut venir de loin, (revenir de loin), et avoir été malade sans le savoir ». Nous connaissions aussi le commentaire du Florentin Carlo Bonomi sur son ouvrage récent à propos des relations entre Freud et Emma Eckstein , Freud et Ferenczi, citant son livre et les conséquences destructives du fantasme dont parle Ferenczi dans son journal comme d’un paradoxe.
J’ai découvert Christofer Fortune et le porc-épic de Freud dont il se sert pour métaphoriser l’apport de Ferenczi du Journal comme un « nouvel ordre social : mutualité et gangstérisme », (je reprendrai moi même cette notion de tyrannie domestique à propos des maltraitances précoces intra familiales.).

Etaient aussi en bonne place les élèves de Ferenczi devenus relativement célèbres au Canada et aux US:
Sullivan très proche de Clara Thompson (la patiente DM du Journal).
Michaël Balint, l’oncle de Judith Dupont dont nous avons pu visionner une vidéo de son travail d’équipe avec sa seconde épouse, Enid Balint.
Elizabeth Severn (la Reine, RN du Journal), étudiée dans ses textes non encore accessibles en Français par notre ami Yves Lugrin; il insiste sur les contributions qui ont été créées par elle , reconnues par Ferenczi lui même, puis incorporées à sa propre théorie ; par exemple la relation entre l’actualisation du trauma et la fin possible de l’analyse. C’est un problème très actuel et un aspect peu connu de la problématique de mutualité (sous quelle forme ?) entre l’analyste et son patient.
Des images ont aussi été projetées de la maison où Sandor Ferenczi et Gizella son épouse, avaient emménagé sur les hauteurs de Budapest, siège aujourd’hui depuis plusieurs années d’un local faisant office de musée.
Un sympathique groupe de jeunes analystes Anglo-Brésiliens a développé des exemples de clivage du Moi chez des « patients narcissiques » ; mais ils recouvraient par ces mots des pathologies très différentes, ce qui n’a pas simplifié le besoin que nous avons tous d’avoir des coordonnées psychopathologiques communes. Personne n’évoquant d’ailleurs ce qui se désigne en France perversion narcissique et qui ouvre un champ d’investigation considérable.
Seul Jay Frankel (US), évoquant l’abus de pouvoir ouvre une nouvelle perspective quand il parle d’eclaavage psychique et d’oppression internalisée.

Kathleen Kelly Lainé, s’est penchée pour son propos sur les liens Ferenczi-Winnicott, évoquant « l’enfant de l émigration », soit le « fonctionnement psychique totalitaire »  à travers la langue maternelle.
Luis Martin Cabré (Espagne), a lui aussi insisté sur les liens à faire entre les travaux de Ferenczi et l’œuvre de Winnicott à propos de patients atteints de grave affections somatiques . .
Deux Américaines Kathleen Adams et Maria Lechich ont présenté l’importance des transmissions intergénérationnelles dans les traumas incestueux, où il est question de la survie de la file abusée et de la toxicité maternelle dans le corps de la fille.
Toutes notions en résonnance avec mon propre exposé.

J’ai donc, quant à moi, prolongé mon travail de 2014 présenté en table ronde au Colloque de Paris « Présence de Ferenczi » intitulé « Ferenczi et les systèmes maltraitants, Bifurcation Epistémologique des années trente ».
( Ce texte est publié dans la Revue Canadienne de Psychanalyse, Vol. 23 n° 1, 2015 Printemps, parue juste avant ce Congrès de Toronto. A noter que l’ensemble des exposés de ce Colloque de Paris, sera publié prochainement dans la revue Coq-Héron).
Dans cette suite intitulée « Quand l’autre de l’adulte c’est l’enfant , Thérapie familiale de réseau face aux maltraitances. », j’ai développé comment nous avons mis au point une stratégie face aux familles maltraitantes, la thérapie familiale de réseau, en évoquant une prise en charge au Centre des Buttes Chaumont, d’une fillette de 10 ans violée par son grand père maternel depuis ses quatre ans. Les concepts Férencziens et systémiques sont utilisés ensemble, ce qui n’apparaît pas comme une hérésie outre Atlantique : Désaveu par la mère et transgressions sexuelles s’articulant fort bien aux doubles liens et aux transactions comme les menaces.
Ainsi se dévoile la force homéostasique du système familial maltraitant, depuis plusieurs générations, et la thérapie devient possible grâce à ce changement de cadre.
Les questions posées par Yves Lugrin ont permis de rebondir sur les difficultés inhérentes à la gravité de ces cas.

Josette Garon nous a livré une histoire dont elle a le secret, « Quand le JE est un naufragé en exil de lui même », parlant de la loi du silence chez son patient adulte source de l’ extraordinaire amputation d’affect qu’il manifestait. Notion reprise par plusieurs participants en citant les différents vocables de Ferenczi : Autotomie, clivage du Moi, auto-clivage narcissique, atomisation, fragmentation de la commotion psychique, survie en réaction à un environnement catastrophique etc.

Sans oublier que Freud a repris ces concepts là après le décès de son ami (Mai 1933) et que ceux ci se retrouvent dans ses textes les plus classiques de la fin de son oeuvre, Moïse, Construction, Clivage duMoi. Tout ceci devenant l’évidence même.
Notre sympathique ami Espagnol, José Jimenez Avello, a su résumer cette notion assez nouvelle, en tous cas en France, par le titre de son intervention : « Freud héritier de Ferenczi » .

Sans citer tout les participants je retiendrai le texte de notre collègue Thierry Bokanovski et son travail « Un trauma du psychanalyste en séance » ;
celui de notre ami Québécois Marcel Hudon et l’équilibre psyché-soma chez Ferenczi et Winnicot, où il parle d’un défi thérapeutiqeu à relever.
Celui de Félicie Neyrou et sa connaissance de l’Ecole Psychosomatique reprenant des idées développées dans le numéro de la revue de psychosomatique de Paris au titre sans équivoque : Sandor FERENCZI, (N° 42, Oct.2012).
J’en avais fait une note de lecture dans le Coq Héron 216 l’année dernière, dédié à W.R. Bion, la psychanalyse en devenir.

Puis une surprise a su animer les discussions informelles des congressistes, c’est l’élaboration, à l’initiative de Carlo Bonomi, de la proposition d’un Réseau International Sandor Ferenczi, (ISFN, International Sandor Ferenczi Network), dont les membres pourront se réunir régulièrement par Skype.
Ce projet avait été évoqué lors du précédent Congrès de Budapest, le voici concrétisé par une réunion et un vote avant même les premiers échanges.

Les délégués, au nombre de neuf, sont donc les suivants :

Gisèle Galdi , US, (Editor in chief, Rédacteur en chef), représentante de L’Américan Journal of Psychoanalysis.

Franco Borgogno , Italie, (Président) de l’ Association culturelle Sandor Ferenczi.

Endre Koritar , Canada, (délégué) représentant de Friends of Ferenczi .

Judith Szekacs , Hongrie, (Présidente) de Imago International.

André Haynal , Suisse, (Président, et Judith Mezaros déléguée) de International Ferenczi Foundation.

Judith Mezaros, Hongrie, (Présidente) de l’ International Ferenczi Society.

Carlo Bonomi, Italie, (Président) de l’ International Forum of Psychoanalysis.

Pierre Sabourin, France, (délégué, Judith Dupont Présidente) de l’Association Le Coq- Héron.

Adrienne Haris , US, (déléguée) de The Sandor Ferenczi Center at the New school

Une décision en attente devait décider du lieu du prochain congrès International Ferenczi. L’idée qu’il se tienne à Rio de Janeiro avait été évoquée mais ce sera Florence avec pour thème « Psychanalyse et révolution » .

Je pense ne pas être le seul à découvrir l’existence de ces confluences Ferencziennes de par le monde, en plus de Coq Héron et de la Maison Ferenczi de Budapest:
Un Forum International, un Centre, une Société Internationale, une Association culturelle, une fondation Internationale, et des Amis de Ferenczi.
L’ambiance chaleureuse était ainsi au programme.
Bonne chance à cet ISFN et au prochain Congrès.